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Tombe de Kossaburo Nomura




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Situation et accès

Dans les montagnes des Pyrénées, près de la frontière franco-espagnole, il y a la tombe d'un japonais qui repose depuis plus de 120 ans au cimetière d'Amélie-les-Bains. Vous la trouverez en vous promenant dans les allées du cimetière, le long du mur d'enceinte. Elle est très reconnaissable.


Coordonnées GPS : 2.6672200000 N, 42.4697200000 E.


De quoi s'agit-il ?

Cette tombe, qui se trouve au cimetière communal d'Amélie-les-bains, presque personne ne s'y intéresse. Pourtant on peut y lire un texte en japonais, sur la face avant : "Tombeau de NOMURA Kosaburo, élève militaire japonais", et sur le côté gauche : "Décédé le 26 juin 1876".

Devant le tombeau en marbre, de 45 centimètres carrés et 160 centimètres de hauteur, il y a une dalle, à peu près la taille d'un tatami (90cmx180cm) sur laquelle on peut lire en francais, mais très difficilement :

ICI REPOSE

KOSSABERO NOMOURA

ELEVE MILITAIRE JAPONAIS

DECEDE A AMELIE-LES-BAINS

LE 26 JUIN 1876

A L'AGE DE 21 ANS

CONCESSION PERPETUELLE

Il n'y a plus personne qui se souvient de lui dans le village, mais la mairie conserve encore son acte de décès.

L'an mil huit cent soixante seize et le vingt sept juin, à neuf heures du matin devant nous Jean Fourne Conseiller municipal, ..., ont comparu les sieurs Pierre Aussail, employé aux Thermes Romains, ... et Pierre Delcros loueur en garni, âgé de cinquante huit ans, domicilié dans la présente commune et voisins du décédé lesquels nous ont déclaré que monsieur Co-Sa-bourau No-Moura, étudiant militaire, âgé de vingt un ans, né a Fouk-oka, Province de Bizeen (Japon), demeurant à Paris, fils de feu To-emon No-Moura et de feue O-Ter, célibataire, est décédé le jour d'hier.


Biographie

Sur ce NOMURA Kosaburo, on peut trouver son nom dans des documents concernant les personnes qui sont allées en France début 1876, mais aucun livre ne parle du contenu de cet acte de décès (surtout le lieu de naissance et le nom de sa mère). En rassemblant les documents trouvés, on ne peut que reconstituer sa vie comme indiqué ci-dessous :

1855 (?) : né a Bizen Fukuoka (actuel Okayama-ken, Osafune-cho)

1869 : Parti étudié à Edo (Tokyo)

27 novembre 1870 : départ de Yokohama en Volga pour la France en tant qu'étudiant de l'école militaire d'Osaka envoyé par l'Etat avec Professeur Charles Buland

18 janvier 1871 : Arrivé a Marseille et e,tre à l'école Descartes

9 juillet 1872 : Revient de Nice

15 juillet : Soirée avec les élèves japonais en France et les membres de la Mission Iwakura.

16 juillet : Prise d'une photo du groupe.

26 novembre 1872 : Enterrement de son copain Bekki à Fontainebleau.

27 novembre 1872 : Revient à Paris.

26 juin 1876 : Décédé à Amélie-les-Bains


Son histoire raconté par un natif

Au-dessus de la station d'Amélie, ce petit cimetière de montagne loge presque dans les nuages. Quand on est assis sur une des tombes, on voit tout le village disparaître derrière le mur. Autour, les Pyrénées forment un cirque. Chevelures de vignes et d'oliviers, dénudées au sommet, elles montent avec de larges taches bleues dans leurs plis, des flaques de verdures claires, des prés pâles, tendres, inaccessibles. Seule, l'église dépasse les tombes de son toit roux comme un grand lit maternel placé à côté des berceaux.

« Gens de Bains, gens de peu d'années » ,dit un proverbe du pays. Le commentaire de ce dicton est écrit ici sur les dalles, en lettres, en larmes de regrets. A côté des caveaux, solides comme des « mas », fortifiés en vue d'invasions futures, où les gens du pays, de père en fils, superposent leurs longévités campagnardes, c'est une vraie moisson de printemps qui jonche cette terre.

Dix-huit ans, vingt ans, vingt-cinq ans, trente ans. Une panathênée de jeunes filles aux yeux trop brillants, les joues colorées de l'éclat des passe-roses, se lève de cette prairie, le soir à la lune. Près d'elles, en foule, des officiers dorment, les moustaches raides, la croix d'honneur sur la poitrine. C'est pour la conquérir qu'en des terres lointaines ils ont gagné la blessure ou le mal dont ils sont morts. Jeunes gens, jeunes filles, ils sont maintenant seuls avec les fleurs, avec les arbres. Ceux qui les avaient amenés se sont enfuis. Beaucoup de ces ensevelis sommeillent sans nom sur leur tombe. Le souvenir du mal mystérieux qui les a rongés pèse comme une tare sur ceux qui les pleurent et qui vivent. Quelques-uns ont été abandonnés dans une épouvante si prompte que la terre seule les recouvre. Sans souvenir, sans croix, ils ondulent sous le drap de gazon.

Un soir de mai, j'étais monté jusqu'à ce champ paisible pour guetter la descente du soleil derrière l'écran des montagnes. Par-dessus le petit mur, je regardais vers le couchant. Soudain, derrière moi, tout près, une voix prononça :

"C'est bien beau, n'est-ce pas, monsieur ?"

Je me retournai.

Je vis un personnage fluet, presque un gnome, mais élégamment vêtu, avec des revers de satin à sa redingote bien ajustée, de larges carreaux à son pantalon de drap fin, où l'on ne sentait point les jambes. Un chapeau de forme haute, des lunettes d'or sur ses yeux vifs, trois poils de moustache hérissés comme les sourcils d'un chat achevaient de donner un aspect un peu inquiétant à cet être hofîmannesque. Je me souvins que j'avais aperçu plusieurs fois à table d'hôte, aux thermes, sur les terrasses, cette silhouette sans âge, presque sans sexe. Je saluai froidement.

Le petit homme perçut cette nuance. De sa poche il tira un carnet de cuir de Russie tout neuf, marquée son chiffre. II en sortit une carte parfumée, luisante comme une glace, et, sans aucun accent étranger, il me dit avec courtoisie :

"Excusez-moi de me présenter moi-même... Kossabero No Moura, élève militaire du Japon, section d'astronomie..."

Je pris la carte en m'inclinant et j'examinai le jeune mandarin. Une impression de difformité se dégageait de toute sa personne, sans que l'on pût la localiser nulle part. Au contraire, pris un par un, ses membres semblaient plutôt délicatement proportionnés. Il les remuait beaucoup dans la parole et dans la marche, avec des arrêts un peu brusques à la fin de ses mouvements souples, avec des grâces courtes de poupée. Sa race apparaissait surtout dans ses extrémités inimaginablement petites et affinées, dans ses mains gantées de suède, dans ses pieds chaussés de bas de soie rose pâle et de souliers vernis éblouissants, laqués au pinceau, comme son chapeau, ses habits, toute sa personne. Je demandai :

"Vous êtes venu dans ce pays-ci pour vous reposer ? "

Il sourit d'un air navré :

"Pour m'y reposer tout à fait, monsieur. Vous voyez, j'étais en train de choisir ma place, là-haut, à côté de ce buisson de roses. J'aurai la figure tournée du côté de mon pays."

Il dit cela simplement avec l'accent d'une certitude triste mais paisible. J'esquissai un geste de protestation. Il m'arrêta de son sourire un peu obséquieux :

"Ne me consolez pas... Cela est accepté... D'ailleurs je serai ici en gracieuse compagnie. Avez-vous lu tous ces noms de jeunes filles sur ces tombes. On les amène de partout. Pourtant il n'y en a pas encore une qui vienne d'aussi loin que moi..."

Sur ces derniers mots, sa voix grêle s'altéra. Et, à travers le cristal de ses lunettes, il me parut que ses yeux bougeurs me regardaient avec angoisse. Ce ne fut qu'une lueur. Un souffle de vent venait de se lever qui faisait palpiter les iris, saluer la cime solennelle des ifs. Je touchai le bras du jeune homme et je lui dis avec douceur :

"L'air est bien frais pour vous, monsieur, ne voulez-vous pas que nous redescendions à l'hôtel ?"

Il secoua gentiment son chapeau :

"Le mal que le vent peut me faire maintenant ne compte pas près du plaisir que je goûte à rester encore quelques instants ici en bonne compagnie. Allons plutôt nous accouder à ce petit mur pour voir lever les étoiles."

D'un geste il me désigna les constellations qui commençaient de monter dans le ciel pâle. Elles apparaissaient tout d'un coup, puis s'évanouissaient dans la buée du soir, comme des formes voilées. Kossabero dit :

"Je connais toutes ces étoiles par leur nom. Je sais aussi le nom des millions d'autres feux qui sont derrière ceux-là. J'ai appris comment leurs cœurs se meuvent et s'enchaînent. Mais à cette heure je donnerais tout mon savoir, toutes mes veilles, tous mes calculs, pour connaître ce qu'il y a derrière cette poussière de monde... Croyez-vous en Dieu, monsieur ? Croyez-vous que la pensée de tous ces morts subsiste hors du temps ? Ou bien tout tient-il dans ces berceaux de bois, pêle-mêle, enfants à la mamelle, jeunes filles, cuirassiers ?"

De nouveau ses yeux me regardaient avec une attente passionnée. Je me sentis le coeur bouleversé. Je n'avais pas le droit de parler à cet abandonné de nos doutes, de toutes ces angoisses où nos âmes se débattent entre le goût decroire et les difficultés de la foi. Ce qu'il me demandait c'était l'espérance, cette certitude de désir qui a créé les religions, adouci l'entrée de la mort à des générations et à des générations d'hommes. Je lui répondis :

"Monsieur, j'ai cru fermement quand j'étais enfant, que derrière ce ciel visible, il y en a un autre où la justice brille. S'il nous demeure caché, c'est que son éclat nous aveuglerait. Vous avez des raisons de penser que vous touchez à cette lumière, et vous me demandez par quel chemin on y arrive. Je puis seulement vous affirmer ceci : du fond de mon coeur, je crois qu'elle est. Pour le reste, un prêtre vous guiderait mieux que moi. C'est là que vous devez vous adresser."

Il m'avait écouté, la face toujours tournée vers les astres, qui maintenant brillaient très purs, dégagés du flottement des brouillards. Il me répondit sans tourner la tête :

"J'y songeais..."

Kossabero s'est éteint, trois semaines plus tard, dans un fauteuil, assis près de la fenêtre, ses lunettes d'or sur son nez, ses cheveux noirs bien peignés et brillants, comme ses souliers vernis, posés au bout de ses chaussettes roses, sur un petit coussin de velours. Il s'était fait baptiser la veille. Il m'avait prié de lui servir de parrain. Une gracieuse jeune fille, hélas! touchée du même mal que notre néophyte, avait accepté d'être ma commère. Le dernier mot de Kossabero a été pour elle. Il lui a pris la main, et il a dit :

"Au revoir, marraine."


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