De quoi s'agit-il ?
Le monument aux morts de Perpignan est un édifice public particulièrement ambitieux par sa forme, sa taille, et son envie de transmission de l'histoire. Il rend tout à la fois hommage aux poilus morts durant la première guerre mondiale qu'aux catalans. Et il y a aussi un message d'espoir transmis à la population.
C'est une oeuvre complexe, réalisée par Gustave Violet, en trois parties. C'est l'un des treize monuments aux morts construits par cet artiste. Il a une hauteur de 11m sur 7,60m de large, c'est un monolithe massif qui prouve que Gustave Violet était, avant tout, un architecte, pas un artiste. On y voit un mélange de ferronerie, de sculpture de différents types, et de mosaïques polychromes. A la base il devait y avoir aussi une figuration de la Victoire qui devait surmonter l'ensemble central, mais il semble qu'elle n'ai pas pu être faite à cause d'un problème financier.
Le monument aux morts de Perpignan est construit comme un retable, il n'est pas sans rapport avec la volonté d'associer le pieu à l'hommage. Il se lit sur les deux faces du monolithe, avec trois parties différentes.
La partie supérieure
Pa partie haute du monument est une allégorie de la puissance du soldat, de sa victoire. Elle peut être vu comme un apothéose de sa gloire. La figure centrale est un soldat de la première guerre mondiale, un poilu anonyme. Il est encadré par deux victoires ailées, des figures allégoriques qui symbolisent le martyr pour l'une et la victoire pour l'autre. Le symbole du martyr est une palme tenue dans les mains de l'une, et celui de la victoire est la couronne de lauriers que s'apprête à déposer la seconde victoire sur la tête du soldat. Ce dernier est représenté de face, figé dans la boue d'une tranchée. Gustave Violet représente rarement des soldats sur ses monument aux morts, lorsqu'il le fait c'est dans leurs conditions de soldat et pas dans une position qui les glorifient, c'est une volonté de sa part.
Cette scène symbolique est une inspiration des scènes de l'Ascension que l'on retrouvent souvent représentées sur les tympan des églises. Le Christ entouré d'une mandorle est encadré d deux anges l'accompagnant au ciel. Mais la représentation de Gustave Violet est plus sobre, plus solennelle.
La partie centrale
La partie centrale représente les victimes collatérales de la guerre, les proches, les familles des victimes. Les figures centrales sont une mère et des soeurs, sur les côtés il y a un vieillard, un enfant et une épouse, les membres de la famille telle qu'on se la représentait au début du XXe siècle. Là aussi il y a un côté religieux dans la représentation de ces personnages. Les têtes baissées sont proches de celles que l'on trouve sur les peintures et sculptures religieuses, avec un côté très réalistes dans la représentation de la douleur. Les personnages sont sculptés de face pour les centraux, de profil pour les latéraux, dans une scène globale symétrique accentuant sa force.
La partie basse
La partie basse du monument aux morts est un ensemble de trois sculptures humaines. Le personnage central est de face, les deux autres de trois-quart, elles sont en haut-relief, c'est à dire qu'elles se détachent énormément de la pierre dont elles sont extraites.
Il s'agit d'une représentation de la catalanité à travers des représentants anonymes : la vendangeuse est une allégorie de la plaine du Roussillon, le berger est pour la montagne et le pécheur pour la côte. La vendangeuse porte un panier de fruits sur la tête et une grappe de raisin à la main. Le berger est coiffé de la baratina, et le pécheur a à la main un filet et une rame. Cette scène permet aux contemplateurs de l'oeuvre de rapprocher l'horreur de la guerre de la vie locale, marquant ainsi que c'est bien ici, en Catalogne, que sont originaires une partie des hommes morts au combat.
D'ailleurs si on les observe on constate que les sculptures sont relativement grossières, elles n'ont pas ce polissage que peuvent avoir celles que l'on trouve habituellement. C'est tout à fait volontaire, Gustave Violet ayant choisi une pierre calcaire rugueuse volontairement taillée ainsi, pour marquer la rugosité de la vie.
La face arrière
L'arrière du monument a également des décorations. C'est une grande mosaïque polychrome représentant deux femmes de part et d'autre d'un arbre. Il s'agit de représentations de la victoire et de la paix. Celle qui représente la victoire montre le fruit de l'arbre, c'est un symbole de renouveau, de renaissance. La victoire amène à prendre un nouveau cycle de la vie, c'est le but du fruit qui symbolise la future vie. La paix, elle, tient un rameau d'olivier dans la main, un symbole de paix évident.
Cette scène a les mêmes caractéristiques symboliques que les trois autres, mais elle est représentée de façon complètement différente, et c'est une des curiosités de ce monument.
Les stèles
De part et d'autre du monument se trouvent deux stèles de taille plus modeste. Il s'agit de stèles funéraires représentant la mort des soldats. Elles ont en leur centre une jeune femme tenant des offrandes. Leurs orientations n'est pas anodines : Elles semblent marcher vers le monument, comme pour porter une offrande aux martyrs de la guerre. Elles sont représentées en mosaïque polychrome et sont entourés d'un liseré rouge qui souligne la forme de la stèle. Elles semblent ainsi être à l'intérieur d'une niche, ce qui accentue un peu le côté religieux de l'oeuvre.
Le dessin a un style antique, il est librement inspiré des peintres de cette époque, mais il y a une certaine sobriété qui tend également vers le style art-déco, un style bien connu de cet architecte. Il n'y a là pas de hasard, ce monument a aussi un côté moderne, pour l'époque.>/>
A noter que les deux stèles ont une palme sculptée sur la partie arrière, ce qui fait que la technique de repésentation a été inversée entre les stèles et le monument.
Les stèles sont reliées au monument par une grille en ferronerie surmontée de palmettes orientalisantes, elles évoquent les lotus de l'immortalité.
Les piédroits
Lors de sa construction le monument aux morts étaient un peu plus complet puisque l'entrée du square était équipé de deux piédroits dans le même style art-déco. Malheureusement ils ont été retirés dans les années 50.
Les matériaux
Le monument aux morts est globalement de couleur rose, c'est une volonté de Gustave Violet afin de se distinguer des autres monuments aux morts, plus classiquement gris. L'encadrement est du marbre rose de Villefranche, permettant à la lumière de jouer sur les veines de la pierre. La partie centrale a servi à la sculpture du monument, c'est une pierre rugueuse plus légère, elle vient probablemen de Tarragone, en Espagne. La scène de la partie inférieure a été faite avec une pierre aux grains épais. Elle est aussi plus blanche que le reste.
A l'inverse les mosaïques sont faites avec un soin particulier donné à la platitude. Elles ont le moins d'aspérités possibles, sont très lisses, ce qui provoque un saisissant contraste avec les pierres. Contraste volontaire car symbolique, les pierres représentant surtout la mort, la tristesse, la douleur, les mosaïques l'avenir, l'espoir.
Histoire
Le monument aux morts de Perpignan fut envisagé dès 1915, mais le projet a mis du temps à se réaliser car les institutions mirent du temps à ce décider sur le lieu d'implantation. La Comité souhaitait qu'il soit place de Catalogne, à l'emplacement de l'actuel statue de Jean Jaurès, mais le Conseil Municipal lui préférait son emplacement actuel. C'est évidemment lui qui gagna.
Un comité pour le monuments aux morts départementale et de la Victoire fut créé en 1919, il fut chargé d'organiser une souscription publique. Une subvention de 75000 francs fut voté le 16 mai et le comité se lança alors dans la sélection d'un artiste pour le réaliser. Il choisit de diffuser dans la presse la proposition. Plusieurs personnes répondirent à l'appel, dont E. Mas-Chancel, C. Manalt, Trenet père et fils, de Montès et Gustve Violet. En janvier 1922 le contrat est signé avec ce dernier, mais l'architecte rencontre des soucis financier et technique, ce qui ralentit sa livraison.
Finalement c'est le 2 novembre 1924, jour des Défunts, qu'est inauguré le monument. Victor Dalbiez est présent en tant que Ministre des régions libérées, ainsi que le Maréchal Joffre et le sénateur Jules Pams. Le maire était Joseph Denis.
Après la seconde guerre mondiale le monument change et devient consacré à toutes les guerres du siècle. Pour l'occasion on remplaça l'inscription :
Aux 8 400 roussillonnais morts pour la France
par
Aux morts pour la France
On aménagea une alvéole dans le socle pour y inscrire les noms des victimes lors de la seconde guerre mondiale et le terre-plein est aménagé en esplanade du Souvenir français.
Il a été restauré en 2017, une opération pendant laquelle fut faits des raccords de mosaïque et fut comblés quelques fissures et joints. Tout le monument fut nettoyé, aussi.