De quoi s'agit-il ?
La forteresse de Salses est un magnifique château des XVe et XVIe siècle du Sud de la France, au Nord de Perpignan. Seul exemple de l'architecture espagnole sur le territoire français, il a une architecture spécifique de son époque, une période de l'histoire qui venait de voir l'apparition de l'artillerie à base de boulets métalliques, ce qui modifiait considérablement les techniques de guerre. Parfaitement conservé, il est un très bel exemple du patrimoine militaire roussillonnais.
Les raisons de la construction
Si un château a été construit en ce lieu c'était pour une raison historique évidente. A la fin du XVe le Roussillon appartenait au comté de Catalogne,
un comté aux allures d'Empire tellement la mainmise des Catalans était grande sur la Méditerranée, ses côtes et ses îles.
Divers royaumes furent créés de toutes pièces (Le royaume de Sicile par exemple), mais ils étaient tous aux ordres de Barcelone. Sur la frontière Nord du comté se trouvait la France, rival ayant déjà pris le Roussillon quelques siècles avant. Or c'est à la fin du XVe siècle justement qu'eut lieu la fusion entre le royaume d'Aragon (le royaume officiel du comté de Catalogne) et la Castille, formant la base de la future Espagne. La frontière Nord devenait donc franco-espagnole et revêtait alors un intérêt encore plus grande.
Il fut donc décidé de la protéger en construisant une forteresse moderne, capable de résister aux nouvelles armes que l'Europe découvrait alors : le boulet métallique.
Une position stratégique évidente
Le choix de l'emplacement de la forteresse de Salses fut évident. Géographiquement le Nord du Roussillon est fait de moyenne collines calcaires, les Corbières. Elles forment une barrière infranchissable pour une armée lourdement équipée, car si les fantassins et même les cavaliers arrivent à les passer sans trop de problèmes, les canons, les chariots qui fournissent l'intendance ne peut pas grimper sur ces étroits sentiers. Le chemin normal, c'était donc de suivre la côte. C'est d'ailleurs par là que passent tous les axes de communication modernes, du TGV à l'autoroute. Construire une forteresse à la sortie de ce passage était idéal, en une place-forte on pouvait défendre la totalité de la plaine du Roussillon. Et c'est ce qui fut fait.
Architecture du château
D'un point de vue général l'architecture du château de Salses est relativement simple. Il s'agit d'un fort de forme rectangulaire (115 mètres de long sur 90 de large) possédant une tour cylindrique à chaque angle. Les murs ont une épaisseur de 10 à 12 mètres de maçonnerie pleine et sont entourés d'une galerie d'escarpe qui joue à la fois le rôle de galerie d'écoute et de galerie de contre-mine, comme expliqué ci-dessous. L'intérieur est divisé en deux parties. La plus grande est à l'Est, elle est centrée autour d'une vaste place d'armes. La seconde, à l'Ouest, est dominée par la tour-donjon.
La partie Est représente la vie quotidienne du fort. La grande place, qui permettait les regroupements militaires mais surtout les activités variées, possédait (et possède toujours) un puits, au centre. Si ça semble être un détail, il faut savoir que c'était la première fois que l'on pensait à la problématique de l'eau dans la construction d'une forteresse, auparavant c'était considéré comme un problème annexe. Plusieurs salles entourent la place. Les plus grandes salles étaient des écuries. 300 chevaux vivaient à Salses, ils étaient répartis dans 3 écuries, une au Sud, l'autre à l'Est, la dernière au Nord. Au-dessus de l'écurie Nord se trouvent les logements de la garnison, pour 1000 à 1200 soldats. Une chapelle était installée à l'angle Nord-Est. Côté Ouest un large fossé traversé par un pont-levis et des hauts bâtiments séparent la partie Est de l'Ouest.
La partie Ouest est dominée par la tour-donjon que l'on appelle "tour de l'hommage". Cette appelation se retrouve dans divers monuments de cette époque, il y a par exemple une tour de l'hommage au Palais des rois de Majorque, au centre-ville de Perpignan. Elle contient aussi une cour intérieure dite "cour du réduit", on y trouve aussi divers autres salles : une boulangerie (un endroit stratégique à l'époque), une infirmerie, la chambre des vannes, la laiterie et l'étable. Le donjon accueillait les logements des officiers et des bureaux administratifs et disposait d'une petite cour intérieure. La cour du réduit, qui se trouve devant le donjon, est dominé par plusieurs plates-formes desquels les défenseurs pouvaient faire feu sur l'ennemi.
Une des principales curiosités du château est la présence de nombreux couloirs construits dans l'épaisseur des murailles. En fait ces murailles sont un vrai gruyère, de longs couloirs, étroits et bassement voûtés, serpentent à l'intérieur jusqu'à la galerie d'escarpe, dernière galerie juste de l'autre côté du fossé. Toutes ces galeries sont percées de meurtrières donnant la visibilité d'un couloir sur l'autre et permettant de faire feu sur un ennemi qui aurait réussi à pénétrer dans ce dédale. Il est à noter que les meurtrières qui donnaient sur l'extérieur, vers le fossé, sont désormais condamnées : Suite à l'attaque de 1503 un talus a été monté au fond du fossé, contre le mur d'escarpe, pour empêcher les dégâts des mines. Du coup ce talus bouche les meurtrières, comme il bouche aussi les poternes des tours d'angle. Pour en finir avec la galerie d'escarpe, il faut savoir qu'elle suit toutes la longueur du château, de ces 4 murs et des 4 tours d'angle, sans discontinuer.
Plan du château de Salses
Légende
1 : Premier pont-levis
2 : Première barbacane
3 : Seconde barbacane
4 : Barbacane Nord-Ouest
5 : Barbacane Est
6 : Second pont-levis et entrée
7 : Place d'armes
8 : Logement de la garnison
9 : Magasin
10 : Ecuries
11 : Tour circulaire d'artillerie (une par angle)
12 : Caponnières
13 : Fossé Sud
14 : Fossé Ouest
15 : Fossé Nord
16 : Fossé Est
17 : Galerie de contre-escarpe Ouest
18 : Galerie de contre-escarpe Nord
19 : Donjon
Un château d'artillerie
Le château de Salses était avant tout une fortification d'artillerie. Il était équipé de 24 canons, en partie de taille moyenne et en partie de grande taille, disposés sur les tours d'angle (pour les moyens) et les trois bastions avancés (pour les grands). Les canons étaient sur les toits plats, à l'abri derrière des créneaux de style moyen-âgeux. Ces créneaux ont été démolis assez rapidement pour faire place à des murs de protection perçés d'ouverture à canon, c'est à dire des ouvertures permettant de modifier l'angle de tir d'un canon. La position dominante du haut des tours n'étaient pas un avantage énorme sur les ennemis se déplaçant sur le glacis, ils ne les dominaient que de 9m. Les tours disposent d'un tuyau central allant du sol au sommet, il permettait de communiquer par signaux accoustiques mais servaient aussi de conduit d'évacuation des poudres. Les 2 tours d'angle Sud ont 3 niveaux, elles mesurent 18m de haut. Les 2 tours Nord ont 4 niveaux et mesurent 21m. Dans le château chaque niveau est indépendant, il a était construit par couche et pas sur la base des 4 tours verticales reliées par des murs.
La forteresse est dotée de trois édifices défensifs originaux, des sortes de postes avancés très proches du château lui-même (Ils sont reliés par des caponnières courant à travers le fossé). Ils ont la forme de tours semi-circulaires dont le côté courbe fait face à l'ennemi. Edifice à deux étages d'une hauteur similaire à la galerie de contre-escarpe, donc aussi haut que le fossé, ils sont dotés des mêmes plates-formes d'artillerie que les 4 tours d'angle. Ces éléments architecturaux originaux pour l'époque étaient armés d'une bonne partie de la forme de frappe du fort, ceux sont eux qui avaient le plus de canons. Ils étaient destinés à empêcher l'ennemi d'installer ses propres canons. Il n'y a pas si longtemps que ça ces tours étaient accessibles librement, il suffisait se se promener dans les fossés pour accéder à leurs entrées. La tour Nord était la plus facile d'accès, la grille qui y a été installé l'a été initialement en retrait, à l'intérieur de la première galerie, ce qui permettait d'entrer assez profondément dans l'édifice. La tour Est, elle, était plus difficile d'accès mais on pouvait aller au premier étage qui était formé d'une vaste pièce percée d'un grand trou en son centre. On comprend mieux pourquoi elles sont condamnées, de nos jours.
La troisième tour, celle au Sud, est moins originale. Elle est séparée du château par un pont-levis et un second pont-levis, côté Est, la dirige vers un petit bastion servant de barbacane. C'est l'entrée du château. De nos jours il y a la billeterie. Ce double pont-levis, la barbacane et la succession de fortifications font du château de Salses une citadelle difficilement prenable.
Une construction moderne
Le château de Salses était une construction moderne pour l'époque, ses défenses prenaient en compte l'évolution récente des techniques militaires dont la principale était l'invention du boulet en métal.
Ca faisait déjà un moment que le canon avait été inventé, la poudre ayant permis la création de nouvelles armes comme les mousquets (ancêtres des fusils) ou les mines (à mi-chemin entre la grenade et la bombe). Mais les canons avaient un gros défaut, ils éjectaient des boulets en pierre qui se fracaissaient sur les murailles défensives. Alors oui, la muraille était ébréchée, mais il fallait un temps fou pour parvenir à la fendre. Quand les boulets furent en métal ils devinrent beaucoup plus performants. Les dégâts étaient rapides, les pierres des murailles cédaient facilement. Les constructeurs de la forteresse de Salses utilisèrent plusieurs moyens pour contrer les boulets ennemis.
Premièrement ils donnèrent une forme arrondie aux murailles. Les boulets avaient tendance à ricochet, ils rebondissaient plus qu'ils impactaient les murs. Ensuite, le sommet des murs étaient en brique. Ce matériau était connu depuis l'antiquité mais son intérêt dans l'art militaire n'est vraiment apparu qu'avec l'invention du louet métallique. La brique absorbe le choc, le mur s'effrite donc peu à peu au lieu de se lézarder, puis se fendre. C'était beaucoup plus long. De plus la brique, quand elle est touchée, éclate en poudre, ce qui est incommodant mais peu dangeureux. La pierre, elle, éclate en morceaux tranchants qui fusent de tout côté. Il y avait beaucoup plus de blessés lors d'une attaque sur des murs en pierre qu'en brique. Un autre moyen utilisé pour contrer les boulets ennemis se trouve dans la structure même du bâtiment : Il est relativement bien enterré. A être enfoui dans le sol les canons avaient moins de surface à atteindre, limitant les impacts. Toutefois ce gain est à contrebalancer avec l'inconvénient qui est que les défenseurs ne pouvaient pas utiliser la hauteur de leurs tours pour tirer sur les assaillants, ceux-ci étant à la même hauteur qu'eux (en fait, plus haut de "seulement" 9m).
Une des curiosités du château de Salses est qu'il est partiellement enterré. En fait, il fut construit dans une dépression naturelle qui a été exclavée pour correspondre aux plans. L'idée était qu'il soit au centre d'un trou, protégé par de hauts fossés non inondés, ce n'était donc pas des douves. Le fossé était le principal moyen de défense du château. Large de 12 à 15m, profond d'une bonne dizaine de mètres, il était entouré d'un glacis qui permettait aux défenseurs de voir arriver l'ennemi de loin. Les assaillants devaient alors descendre dans le fossé où un double tirs d'armes individuelles les attendaient. En effet, les fossés étaient équipés de galeries d'escarpe et de contre-escarpe sur toutes leurs longueurs, les deux étaient reliées par une caponnière. La galerie d'escarpe, c'est un couloir étroit, bas et voûté qui court à l'intérieur du rempart, de tours en tours, sur l'ensemble du pourtour du château. Elle est percée de nombreuses meurtrières qui donnent sur le fossé. Les assaillants étaient donc sous le feu de leurs ennemis tout le temps qu'ils étaient dans le fossé. La galerie de contre-escarpe est la même chose, mais de l'autre côté du fossé, elle était donc encore plus longue. Les caponnières étaient le nom que l'on donnait à un tunnel qui reliait les deux. Ils étaient elles aussi équipés de meurtrières. A noter que la galerie d'escarpe servait aussi de galerie de contre-mines : Si un ennemi parvenait à faire exploser une mine au pieds de la muraille, c'était la galerie qui était éventrée et pas la muraille elle-même.
On voit alors arriver le problème : Une fois la galerie ouverte, les ennemis pouvaient entrer dans la forteresse. Mais ils devaient le faire par un couloir étroit et bas, ils devaient donc progresser lentement. Or cette galerie était aussi équipée de meurtrières sur le côté intérieur, ce qui permettait aux défenseurs de tirer sur les occupants de la galerie d'escarpe. Le risque était donc limité.
Un fossé non inondable
Pour en finir avec le fossé il faut savoir qu'il n'a jamais été conçu comme une douve, c'est à dire qu'il n'était pas inondable. La seule fois où ça a été le cas c'est en 1639, mais ce n'était pas volontaire, c'était dû à de fortes précipitations qui ont faits monter le niveau de l'eau. D'ailleurs le fond du fossé avait une rigole qui permettait de drainer les eaux loin du château pour éviter que le fossé ne se transforme en marécage, ce qui aurait nuit aux hommes y vivant. A titre d'exemple, la tour de Londres, la célèbre citadelle de la capitale britannique, a déploré des morts au milieu du XIXe siècle à cause des maladies provoquées par les eaux stagnantes qui les entouraient.
Un avis personnel sur le château de Salses...
La visite du château de Salses donne une impression assez étrange. On voit bien qu'on visite un château ancien, mais on ne peux pas dire qu'il est médiéval puisqu'il date du début du XVe siècle. Il n'est pas non plus comme ces châteaux renaissances qui arrivent en France quelques décennies plus tard. Il a un style original, hydride entre l'architecture espagnole et nord-européenne, et lorsqu'on s'en approche on s'aperçoit qu'il est encore plus massif qu'on le pensait initialement. Il faut dire que le fait qu'il ait été construit enterré y est pour quelque chose.
Cette forteresse est une belle découverte pour qui prendra le temps de s'y rendre. Je ne peux que la conseiller, sa visite enchantera les enfants et donnera aux adultes des clés pour comprendre l'histoire de la région. Et en plus il est facilement accessible, et relativement peu cher. A découvrir donc.
Histoire
L'histoire de fort débute en 1497, soit quatre ans après que le roi de France Charles VIII ai restitué le Roussillon au roi d'Espagne
Ferdinand V le Catholique. Celui-ci désirait verrouiller l'étroit passage qui existe entre les derniers contreforts des
Corbières et les étangs qui étaient infranchissables à l'époque et qui constituait la seule
voie d'accès de la région par le Nord. Il confia donc la construction d'une citadelle à Francisco Ramiro Lopez, aragonais d'origine à qui on
devra par la suite la construction partielle de la citadelle de Collioure.
Six ans après avoir débuté les travaux et alors que le fort était loin d'être achevé, la citadelle dû résister aux assauts de l'armée
française. Au cours de ce siège aura lieu l'explosion de la première mine de guerre qui ait réussi et fera plusieurs centaines de victimes.
En 1538 alors que cette fois-ci le fort est achevé Salses aura l'honneur de recevoir la visite de Charles Quint en personne. Durant le
siècle suivant il dû subir de nombreuses attaques mais rempli correctement son rôle de défenseur des frontières Nord. C'est le 20 juillet
1639, après 40 jours de résistance, qu'il tombera aux mains de ceux que l'on appelaient à l'époque "les meilleurs régiments du Royaume de
France" placés sous le commandement d'Henry II de Bourbon et du maréchal Schomberg. L'histoire retiendra surtout qu'après la chute du fort,
les troupes françaises ne furent plus en mesure de poursuivre leurs offensives ce qui fait que le fort pu une dernière fois jouer son rôle
de surveillance.
Sitôt pris, les troupes françaises furent assiégées du 1er septembre 1639 au 6 janvier 1640, période où plusieurs régiments français
enfermés dans le fort opposeront une résistance acharnée aux troupes espagnoles désireuses de récupérer leurs biens. C'est seulement la
faim qui ouvrit les portes aux adversaires.
A partir de cette époque, le fort de Salses a été longtemps en porte-à-faux, il a failli disparaître à plusieurs reprises. En 1718 par
exemple, sa destruction était prévue, mais l'idée est finalement abandonnée pour réapparaître en 1726, où elle est à nouveau abandonnée.
En 1793, le fort abrite une garnison jusqu'en 1804 où il est à nouveau sur la sellette : sa destruction est prévue. Sauvé de justesse,
le scénario se représente encore 29 ans plus tard, en 1833. L'abandon final de la destruction a permis de le conserver jusqu'à nos jours.